Eric Bergerolle le 4 octobre 2023 à 15h00
Pour dégoter une occasion à prix canon et l’entretenir à moindre coût, rien ne vaut les garages solidaires. Ces établissements remettent en état des voitures offertes pour la bonne cause. Mais attention ! Tout le monde n’y a pas accès. Découverte.
Vue de l’atelier de mécanique auto dans le garage solidaire de l’ASEM (Acteurs solidaires en marche). Un Français sur quatre refuse un emploi faute de moyen de transport. Hélas ! Depuis 2020, crise oblige, les Français sont moins nombreux à faire don de leur voiture aux garages solidaires qui les vendent ou louent aux chômeurs.
Selon le baromètre des mobilités du quotidien réalisé en mars 2022 par la Fondation pour la Nature et l’Homme, près de 13,3 millions de Français étaient l’an dernier en « situation de précarité de mobilité ». Treize millions, c’est aussi le nombre approximatif de véhicules immatriculés qui ne roulent plus, soit parce qu’ils sont en panne, soit parce qu’ils sont simplement délaissés (source: AAA Data, 2020). D’où l’idée de faire se rencontrer ces deux mondes et contribuer à soulager les maux de transports des plus démunis, ceux dont l’accès à l’emploi exige le recours à une automobile qu’ils ont du mal à financer.
L’idée n’est pas nouvelle. Une poignée d’associations reconnues d’utilité publique fédèrent des garages dits solidaires, qui proposent des prestations à prix cassés à ceux qui touchent les minima sociaux. Outre l’entretien et la réparation, ces ateliers offrent à la vente (ou à la location, pour certains) des voitures qui leur sont cédées à titre gratuit. Une fois remises en état, elles servent à des personnes en difficultés à se rendre au travail, à emmener leurs enfants à l’école et à accéder aux soins. Tous déplacements que le vélo et les transports en commun peinent à assurer.
Un Français sur quatre refuse un emploi ou une formation faute de moyen de transport (source : FNH) Ces garages solidaires dépendent tous de la générosité des donateurs, fussent-ils des particuliers (environ 80% des dons), des entreprises ou des collectivités locales. Hélas ! Les effets conjugués de la baisse du pouvoir d’achat, du renchérissement des prix des carburants et des frais d’entretien aggravent le décalage entre le nombre de dons et de véhicules reconditionnés.
Les neuf garages solidaires membres du réseau Solidarauto le disent tous : la demande dépasse largement l’offre. « Avant 2020, nous recevions jusqu’à 1.500 dons par an, un chiffre qui est descendu à mille en 2020 et 2021 », déplore Jean Giraudeau, Directeur de la Fédération Solidarauto. Un constat similaire est fait par Gérard Blottière, Président de l’association Les Autos du Cœur : « Il y a trois ans, nous disposions d’un stock de 40 à 50 véhicules, mais ce chiffre est tombé entre dix et quinze véhicules depuis la fin 2022. Notre problème, ce sont les dons : ils ne sont pas suffisamment nombreux. Et dans le même temps, nos bénéficiaires nous demandent des voitures toujours moins chères, entre 2.500 et 6.000 euros: c’est un signe de la crise. »
Depuis 2020, crise oblige, les Français sont moins nombreux à faire don de leur voiture
Malheureusement l’afflux espéré de véhicules bon marché classés Crit Air 5, 4 ou 3 n’a pas eu lieu. D’une part, la mise en place des restrictions de circulation dans les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) ne s’est pas accompagnée d’une verbalisation systématique qui aurait incité les automobilistes à se séparer de leur vieille auto. D’autre part, la pénurie de composants électroniques a conduit en 2021 et en 2022 à un allongement dramatique des délais de livraison des voitures neuves. Suffisamment pour inciter les consommateurs à reporter leur décision d’achat et à conserver plus longtemps leur auto. Par contrecoup. l’offre s’est amenuisée sur le marché de l’occasion récente, ce qui a contribué à gonfler les prix des voitures de plus de sept ans.
En septembre 2023, Monsieur Neumann, l’un des nombreux bénéficiaires de l’association Les Autos du Coeur vient prendre possession de sa Fiat Panda remise en état par des mécaniciens partenaires. Image © Les Autos du Coeur.
« Dans les villes concernées par les ZFE, les gens qui songeaient à se séparer de leur vieille voiture se sont aperçus qu’elle valait davantage que ce qu’ils imaginaient », analyse Gérard Blottière « Parmi les personnes qui nous contactent avec le projet de donner leur voiture, certaines renoncent et préfèrent la vendre. Avant 2020, cela n’arrivait presque jamais. »
Les choses devraient bientôt revenir à la normale. « Cette inflation des prix des occasions – inouïe depuis 20 ans — a pris fin en début d’année avec le retour à des prix plus bas qu’avant 2020 » observe Emmanuel Labi, Président d’Autobiz. Résultat, le nombre de transactions repart à la hausse, constate AAA Data.
Les garages solidaires s’unissent pour inciter aux dons
Pour l’heure cependant, cette bouffée d’oxygène ne profite pas encore aux garages solidaires, qui manquent toujours de véhicules. D’où l’idée d’unir leurs forces pour mieux faire entendre leur appel aux dons. Les neuf garages solidaires réunis sous la bannière de la Fédération Solidarauto (créée en décembre 2017 par le Secours Catholique) ont ainsi choisi de s’associer à Roole, à l’origine de la création, fin 2022, d’un site Internet « donnezvotrevoiture.org « . De quoi donner une envergure nationale à leur appel aux dons.
De gauche a droite: Marie-Christine Julien, employée permanente de l’association Les Autos du Coeur, Gérard BLOTTIERE, Président de l’association, Kateryna STAROVOIT, nouvelle propriétaire d’une Toyota Yaris, et Marc BLANC, son employeur. Image © Les Autos du Coeur.
Connu jusqu’à fin 2021 sous le nom de Identicar, Roole propose des services de protection contre le vol et des garanties complémentaires aux contrats d’assurance auto. « Nos partenaires sont les concessionnaires : ils peuvent etre une source d’approvisionnement en véhicules pour Solidarauto et tous les garages solidaires qui rejoindront la plateforme Donnez votre Voiture », fait valoir Aleth D’Assignies, Directrice Impact chez Roole. Mais l’entreprise est surtout connue sous sa casquette de « premier club automobile de France avec 1,4 million de membres ». Fort de son magazine d’information, « Roole dispose du savoir-faire pour créer et gérer la plateforme donnezvotrevoiture.org . Deux personnes s’y consacrent à temps plein. « Roole se charge de la communication, ce qui n’est pas notre métier », confirme Jean Giraudeau.
En moyenne, Solidarauto revalorise une voiture sur trois proposées à titre gratuit
Et cela fonctionne ! Neuf mois après sa création, la plateforme donnezvotrevoiture.org avait recueilli 400 propositions de dons, chacune étant transmise pour examen au garage solidaire le plus proche. Malheureusement « certains véhicules sont trop éloignés de nos garages membres et leur rapatriement engagerait trop de frais », tempère Jean Giraudeau, de Solidarauto. Mais la plupart des refus s’explique par l’état du véhicule.
« Certains véhicules s’avèrent trop endommagés pour être économiquement réparables », justifie Jean Giraudeau. Non que les exigences des garages solidaires soient bien élevées. C’est juste que les gérants doivent veiller à l’équilibre des comptes. « Si on nous annonce 4.000 euros de frais de remise en état, on dit non: avec le coût de l’assurance et le carburant brülé lors du rapatriement, cela fait trop cher », calcule Gérard Blottière. Les Autos du Cœur (qui se sont associées à Mobilité Club France, fort de 1,15 million d’adhérents) annoncent d’entrée de jeu refuser les véhicules immatriculés avant l’an 2000, ou dont le compteur affiche plus de 150.000 kilomètres (200.000 km pour les Diesel), Solidarauto montre davantage de flexibilité. « Chaque garage apprécie en fonction des particularismes de la demande locale ». Inutile en effet d’investir dans la réfection d’un grand break à sept places à 6.000 euros si les bénéficiaires sur liste d’attente réclament des petites voitures de ville à 2.500 euros.
A cet égard, la demande est en hausse pour les modèles à boîte automatique. Gérard Blottière l’explique volontiers par « le succès du permis de conduire sur boîte auto », formule qui ramène de vingt à treize le nombre d’heures de formation et diminue considérablement la facture (850 euros contre 1.000 euros en moyenne, selon la Fédération des Enseignants et Auto-Écoles d’Avenir).
Sur l’achat et l’entretien, les garages solidaires cassent les prix
Quelle que soit leur affiliation ou leur appellation, les garages solidaires se distinguent des réparateurs conventionnels par leur engagement à fournir une écoute adaptée au pouvoir d’achat de la clientele démunie. Les garages qui disposent de la licence Solidarauto s’engagent ainsi à « mettre en relation le client avec les bons interlocuteurs institutionnels et associatifs, pour l’aider à financer son projet de réparation ou d’achat ou de location de véhicule ». Cela passe par « une aide au discernement sur l’urgence des travaux de réparation à échelonner dans le temps » en fonction du budget du client et de son projet, explique Jean Giraudeau. Pour certains, il s’agit juste de faire durer leur véhicule encore un peu.
Les garages solidaires ne se risquent pas à déterminer qui a droit à leurs services. « Pour éviter tout soupçon de favoritisme, chaque dossier est traité par les services sociaux », confirme Gérard Blottière. Au cas par cas, une assistance sociale détermine combien d’argent tel demandeur d’emploi, tel retraité ou telle mère de famille pourra investir dans l’achat ou la location d’un véhicule solidaire. « Nous obtenons des loyers abordables en travaillant avec des prescripteurs sociaux – Pöle Emploi, la CAF, le département — qui couvrent le reste à charge », détaille Jean Giraudeau.
Ces conditions particulières nourrissent-elles chez les réparateurs traditionnels la crainte de voir leur clientèle les quitter au profit des garages solidaires ? C’est tout le contraire. « Les garages solidaires ne concurrencent pas l’activité des garages traditionnels », certifie Jean Giraudeau. « Une fois l’emploi sécurisé, nos bénéficiaires voient leurs revenus augmenter : apres deux ans, ils disposent de moyens suffisants pour faire entretenir leur auto par des garages traditionnels. Par conséquent, leur quotient familial [un outil de mesure des ressources mensuelles d’un foyer, NdIA] augmente et ne leur permet plus de rester chez nous. En ce sens, les garages solidaires font de « l’anti fidélisation ».
Les bonnes raisons de faire don de sa voiture
Le Code des Impôts prévoit qu’un don à une association reconnue d’intérêt général ouvre droit à une réduction d’impots. Joint à la déclaration de revenus, le reçu fiscal remis en échange du véhicule donne droit à une défiscalisation égale à 66% de la valeur estimée de ce don (60 % pour les entreprises). La base retenue est la cote moyenne du véhicule, diminuée du coût des réparations nécessaires à l’obtention du contrôle technique. Toutefois Jean Giraudeau (Solidarauto) est formel, l’argent n’est pas la première motivation des généreux donateurs. « Avant toute chose, les gens redoutent la complexité administrative de la vente à un particulier. » Les garagistes solidaires étant des professionnels, ils se chargent des formalités administratives. Vient ensuite l’envie de rendre service. « Donner sa voiture, c’est contribuer à lutter contre l’exclusion sociale des personnes en recherche d’emploi » , fait valoir Solidarauto. »Cela participe aussi à l’économie circulaire »., soutient Aleth D’Assignies, chez Roole. « Tout le monde ne dispose pas encore des moyens de passer à la mobilité électrique, alors dans l’attente, faire durer une occasion aide à trouver un emploi. »